Kordahn était assis sur les branches d'un arbre et contemplais l'horizon pluvieux. Il se sentait empli par un grand calme et une grande sérénité. L'air était frais et humide, un orage venait d'éclater non loin et l'athmosphère s'était soudainement déchargée, et Kordahn profitait des permières fines goutellettes de pluie qui s'écrasaient sur son visage.
Il se sentait en ces instants que son coeur devenait moins dur, moins froid. Il se sentait plus humain. Il ressentait une sympathie étrange pour le touille-marais, sentiment qu'il n'avait pas éprouvé depuis bien longtemps, ou plutôt qu'il avait refusé d'éprouver. Il se mit à penser aux autres émotions qui l'avaient troublé, et qu'il tentait d'ignorer. Pourquoi pas, après tout... Il senti quelque chose qui s'ouvrait tout au fond de lui. Il resta longuemment assi, sous la pluie qui s'intensifiait à tâter ces nouvelles choses qu'il sentai naître en lui.
Mais il fut tiré de cet état de quais-transe par un appel fulgurant de Mangar. Un appel qui n'avait pas de construction logique, juste une sorte de hurlement inarticulé à travers son esprit. Le choc le fit tomber de son arbre. Il crut un instant qu'il sagissait d'un reproche de Mangar pour son comportement irresponsable, pour avoir lâché le contrôle sur ses émotions, mais c'était bien au delà. Un appel au secour, de la plus haute urgence.
Il se releva d'un bond, saisi sa dague, seule arme qu'il possédait sur lui, et se mit à courir à toute vitesse dans la direction de l'appel. Et pendant qu'il courrait, son esprit passait en revue toutes les possibilités quant au danger que pouvait bien courir son compagnon. Il sentai sa détresse, et Kordahn se sentait envahi d'une peur innomable.
Enfin, il parvint au sommet d'une petite colline et senti l'effroi l'envahir à la vision de ce qui se passait en contrebas.
Une demi-douzaine de miliciens armés de lances se tenaient en cercle contemplant la créature velue qui gisait au centre.
Kordahn voulu s'élancer pour lui porter secour, mais il se retint. A la place, il descendit tranquillement la colline pour aller s'addresser aux hommes en contrebas.
"Holà, que se passe-t-il, vous avez capturé une bête?"
Plusieurs hommes tournèrent la tête, visiblement étonnés par l'allure de Kordahn. L'un, un milicien mal rasé à la face balafrée d'une longue cicatrice blanchâtre lui répondis d'un ton cordial, visiblement pas peu fier de sa prise.
"Oué, on l'a choppé c'te saloprie, rgardez donc la taille et l'allure du bestiau, une malebête des plus dangereuse, m'sir, mais j'sais y faire pour placer les pièges, elle y a pas échappé"
Kordahn s'approcha de Mangar.
"Soyez prudent, l'est pas encore morte la bête!"
Puis, tout à coup, il saist son poignard et tenta d'ouvrir les mâchoires du piège pour en extraire la patte de son compagnon. Il entendis des cris derrière lui et redoubla d'efforts, mais il senti bientôt qu'on le tirait en arrière, il entendit des voix autour de lui, il tenta de se débattre, mais ils étaient cinq sur lui. C'est alors que quelque chose attira son regard, quelque chose qui le glaça d'effroi au-delà de toute expression. L'éclair d'une lame humide qui s'élevait dans la grisaille du soir. La lame s'abaissa dans une seconde d'éternité et retomba avec un bruit sourd.
Alors, Kordahn hurla, un hurlement rauque inarticulé qui fit se raidir d'effroi les hommes autour de lui, la chose qui venait de se passer était inexprimable. Son corps s'affaissa, les miliciens le lâchèrent et reculèrent. Assit au sol, il rejeta la tête en arrière et se remit à hurler de plus belle, son visage était tordu dans un atroce rictus de haine et de douleur. Un milicien fit un pas en avant, et d'un mouvement fulgurant, Kordahn le saisit à la gorge. Le pauvre homme ouvrit la bouche pour pousser un cri qui ne put sortir, retenu prisonnier au bas de sa gorge par l'étau des doigts. Les yeux de Kordahn, devenus entièrement noirs et qui semblaient jeter des éclats d'obscurité, se plongèrent dans ceux de l'homme, où il put lire une totale incompréhension, une détresse insoutenable, un besoin de vivre, il y lut l'horreur lorsque vint à l'esprit de l'homme qu'il ne reverrait jamais les siens, et une prière déchirante à son intention. Mais la haine de Kordahn ne fit que redoubler, son rytme cardiaque et respiratoire s'intensifia encore et l'étau impitoyable se ressera encore. Les yeux de l'homme se révulsèrent, les ongles pénètrèrent la chair molle du cou et une fraction de seconde plus tard, il avait cessé de se débattre.
Kordah senti une joie jubilatoire l'envahir, mais qui s'éteignit très rapidement, remplacé par une poussée de fureur plus violente encore. Il laissa retomber le corps de l'homme et se tourna vers les autres, qui avaient assisté à la scène, tétanisés. Il saisit son poignard et bondit vers eux, prêt à laisser libre cours à sa haine envers eux et tous les membres de leur espèce...